L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Partie 1 : Le coût réel de la sous-traitance

La sous-traitance des services gouvernementaux, particulièrement des TI, coûte des milliards de dollars aux Canadiens chaque année. Le recours à la sous-traitance est parfois nécessaire, par exemple pour augmenter les effectifs ou pour bénéficier d’une expertise et de compétences externes.[1] Par contre, les années de dépenses incontrôlées en sous-traitance ont fait en sorte qu’une légion de consultants travaillent dans l’ombre de la fonction publique aux côtés des employés de l’État. Cette fonction publique fantôme suit ses propres règles : les sous-traitants ne sont pas embauchés selon le mérite, la représentativité, l'équité ou la transparence; les restrictions budgétaires et le gel des embauches ne les affectent pas; et ils n’ont aucune responsabilité à l’égard des Canadiens.[2] Le moment est venu de remanier en profondeur la politique de sous-traitance dans la fonction publique fédérale.

Au cours de 2020, l’IPFPC publiera une série de rapports d’enquête sur la dépendance croissante du gouvernement à l’égard de la sous-traitance et sur son coût réel.

Partie 1 : Le coût réel de la sous-traitance

Le travail traditionnellement effectué par les fonctionnaires est de plus en plus souvent confié à des consultants et à des entrepreneurs à un coût qui ne manquerait pas de consterner les Canadiens. Au lieu d’investir dans la fonction publique, le gouvernement affecte une grande part de son budget à l’embauche de sous-traitants. Ces consultants coûtent cher, et les contrats sont octroyés à des sociétés qui font de la sous-enchère alors que les coûts réels explosent. Malgré tout, le gouvernement maintient année après année sa pratique de sous-traitance de la fonction publique à un coût exorbitant. Ce sont toujours les mêmes dix ministères et organismes gouvernementaux qui dépensent le plus en sous-traitance des TI, et cela fait craindre que ces institutions perdent les connaissances et les compétences requises pour fournir les services essentiels. Ce problème étend rapidement ses tentacules à tous les autres ministères et organismes gouvernementaux. Mais pour savoir vraiment où va l'argent des contribuables, il faut suivre la piste des sociétés multinationales. Et les Canadiens doivent savoir comment leur argent est dépensé et ce que coûte vraiment ce manque de vision.

Le recours à la sous-traitance a plus que doublé

Entre 2011 et 2018, le gouvernement fédéral a dépensé plus de 11,9 milliards de dollars pour des consultants en TI, des consultants en gestion et d'autres agents contractuels. Durant cette même période, le coût annuel de la sous-traitance a doublé en passant de 1 milliard de dollars en 2011 à presque 2,2 milliards de dollars en 2018.

Diagramme circulaire qui démontre que les consultants en TI comptent pour sept des dix dollars dépensés en sous-traitance.
Les consultants en TI comptent pour sept des dix dollars dépensés en sous-traitance.
Pourcentage du total des dépenses en sous-traitance par catégorie, 2011-2018
Consultants en TI = 8,5G$ (70%)
Consultants en gestion = 2,85G$ (25%)
Autres contractuels (agence de placement temporaire) = 599M$ (5%)
Dépenses totales : 11,9G$

Source : Divulgation proactive, 2011-2018

Les dépenses liées aux consultants en TI ont plus que doublé – de 605 millions de dollars en 2011 à plus de 1,3 milliard de dollars en 2018 – se chiffrant à plus de 8,5 milliards de dollars pour cette période.

Graphiques démontrant les hausses en flèche concernant les consultations en TI
Les dépenses pour les services de consultation en TI ont monté en flèche de 2011 à 2018.
Total des dépenses en $ par catégorie pour la sous-traitance.
Consultants en TI : croissance de 116%
Consultants en gestion : croissance de 115%
Autres contractuels (agences de placement temporaire) : croissance de 78%

Source : Divulgation proactive, 2011-2018

Le recours aux consultants en TI vise à augmenter les effectifs ou à bénéficier de compétences spécialisées. Cependant, le fait que le coût de la sous-traitance des TI a doublé en seulement sept ans laisse croire que les gestionnaires se servent des consultants de manière abusive pour exercer une grande partie des fonctions de TI dont le gouvernement a besoin pour fournir ses services. 

Le recours à la sous-traitance des TI a surtout lieu dans dix ministères et organismes.

Sur 78 ministères et organismes gouvernementaux, 10 comptent pour 73 % des 8,5 milliards de dollars affectés aux consultants en TI. Parmi ceux-ci, cinq ministères et organismes sont responsables de près de la moitié (49 %) des dépenses totales liées aux consultants en TI.

Graphique démontrant que dix ministères représentent 72% des dépenses pour des consultants en TI de 2011 à 2018.
Dix ministères représentent 73% des dépenses pour des consultants en TI de 2011 à 2018.
Pourcentage des dépenses en sous-traitance des TI correspondant aux principaux ministères et organismes. 

Agence du Revenu du Canada = 1 421 804 132 $ (17%)
Emploi et développement social Canada = 800 079 021 $ (9%)
Agence des services frontaliers du Canada =  737 103 818 $  (9%)
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada = 651 856 872 $ (8%)
Défense nationale = 539 512 338 $ (6%)
Affaires mondiales Canada = 464 024 959 $ (5%)
Gendarmerie royale du Canada = 434 024 332 $ (5%)
Transports Canada = 410 435 109 $ (5%)
Innovation, Sciences, et Développement économique Canada = 398 358 130 $ (5%)
Services partagés Canada = 318 069 803 $ (4%)

Le top cinq des ministères compent pour 49% des dépenses totales en sous-traitance des TI à l'échelle du gouvernement.
Le top dix des ministères compent pour 73 % des dépenses totales en sous-traitance des TI à l'échelle du gouvernement.
68 autres organismes gouvernementaux correspondent à 27%. 

Source : Divulgation proactive, 2011-2018  

La sous-traitance au sein des principaux ministères et organismes constitue un obstacle majeur au renforcement de la capacité interne. Plus les services de TI sont confiés à des consultants, plus la fonction publique perd l’expertise et les connaissances relatives aux systèmes de TI du gouvernement. Puisqu’il n’existe aucun mécanisme de transfert des connaissances et de l’expertise aux ministères et organismes à la fin des projets, la fonction publique se voit incapable d’accomplir un nombre croissant de fonctions de TI à l’interne. Le recours aux consultants en TI inquiète la fonction publique et les Canadiens qui bénéficient des services publics.

Cliquez ici pour en savoir plus sur les symptômes de la sous-traitance des TI, dont l’exode des connaissances et le transfert des compétences.

La sous-traitance s’est rapidement imposée dans l’ensemble du gouvernement

Même si les dépenses liées à la sous-traitance des TI sont majoritairement attribuables aux dix principaux ministères et organismes, le recours à la sous-traitance croît encore plus rapidement ailleurs au gouvernement. En 2011, les dix principaux ministères et organismes ayant recours à la sous-traitance comptaient pour 96 % des dépenses du gouvernement liées à la sous-traitance des TI. En 2018, ces mêmes ministères et organismes se partageaient environ 71 % des dépenses totales en sous-traitance des TI. Autrement dit, alors que le recours à la sous-traitance se concentrait presque entièrement dans une poignée de ministères et organismes, cette pratique est maintenant adoptée dans l’ensemble du gouvernement.

Deux diagrammes représentant la croissance rapide de la sous-traitance à l'échelle du gouvernement.
La sous-traitance a connu une croissance rapide à l'échelle du gouvernement.
Les dix ministères ou organismes ayant le plus recours à la sous-traitance par rapport au reste du gouvernement, 2011  par rapport à 2018
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En 2011, les dix principaux équivalaient à 580 M$ (96%)
Tous les autres équivalaient à 25 M$ (4%)

En 2018, les dix principaux équivalaient à 931 M$ (71%)
​​​​​​Tous les autres équivalaient à 378 M$ (29%)​

Source : Divulgation proactive, 2011-2018

La sous-traitance des TI a augmenté 5,5 fois plus rapidement que la masse salariale

Il est évident que les ministères préfèrent recourir à la sous-traitance plutôt que d’investir dans leur personnel. Les budgets consacrés à la sous-traitance des TI ont plus que doublé, tandis que la masse salariale et les budgets de fonctionnement peinent à suivre l’inflation.[3] Les dépenses liées à la sous-traitance des TI ont augmenté de 5,5 fois plus rapidement que la masse salariale et près de 10 fois plus rapidement que les dépenses ministérielles totales.

Trois bulles expliquant que les coûts de la sous-traitance des TI dépassent ceux de la masse salariale et des autres types de dépenses.
Les coûts de la sous-traitance des TI dépassent ceux de la masse salariale et des autres types de dépenses.
Taux d'accroissement de la sous-traitance des TI par rapport à celui de la masse salariale, 2011-2018

Coûts de la sous-traitance des TI: +116% de 2011 à 2018
Coûts de la masse salariale: +21% de 2011 à 2018
Coûts totaux: +12% de 2011 à 2018

Source : Divulgation proactive, 2011-2018 et Comptes publics du Canada, volume II, Détails des charges et des revenus, 2011-2018

La croissance disproportionnée de la sous-traitance des TI révèle la nouvelle tendance du gouvernement en matière de prestation de services. Auparavant, les employés du gouvernement faisaient le gros du travail, et quelques consultants venaient en renfort pour fournir les services. Au fur et à mesure que les besoins en matière de service augmentaient, le gouvernement embauchait plus d’employés. Maintenant, les ministères se tournent davantage vers les consultants pour  assumer une grande partie croissante des tâches qui incombent à la fonction publique. Autrement dit, au lieu de servir à l’embauche d’employés, les budgets relativement constants des ministères et des organismes servent de plus en plus à confier les TI à des sous-traitants.

Des prix scandaleux

Les consultants en TI finissent par coûter deux fois plus cher que prévu au gouvernement fédéral et aux Canadiens. En moyenne, le coût réel d’un consultant en TI est plus que le double du coût indiqué dans le contrat initial, ce qui est extrêmement plus élevé que la majoration moyenne de deux tiers pour un consultant en gestion ou un service d’aide temporaire.

Deux diagrammes circulaires expliquent que les consultants en TI coûtent deux fois plus cher que prévu.
Les consultants en TI coûtent deux fois plus cher que prévu.
Valeur initiale par rapport à la valeur finale des contrats de sous-traitance par catégorie , 2011-2018

Consultants en TI
Valeur initiale = 3,93 G$ 
Valeur finale = 8,46 G$ (+115%)

Autres contractuels (agences de placement temporaire)
Valeur initiale = 359M$ 
Valeur finale = 599M$ (+67%)

Consultants en gestion
Valeur initiale = 1,73G$
Valeur finale = 2,85G$ (+65%)

Source : Divulgation proactive, 2011-2018

Deux raisons expliquent le coût beaucoup plus élevé de ces contrats par rapport à leur coût initial :

  • Il est assez simple pour les gestionnaires du gouvernement de modifier les contrats après leur passation. La valeur des contrats peut être rehaussée de 50 % sans avoir à faire de nouveaux appels d’offres.[4]
  • Le pouvoir discrétionnaire de modifier les contrats pousse les sous-traitants à soumissionner à la perte. Les plus bas soumissionnaires obtiennent les contrats à un prix qui ne permet pas de fournir les services demandés. Une fois le contrat octroyé, ils peuvent y intégrer des profits dans le cadre de révisions.

Il n’est pas surprenant que les sous-traitants sous-estiment les coûts et que la portée et le budget d’un projet explosent par la suite. Malgré tout, d’une année à l’autre, les décideurs ferment les yeux devant ces coûts exorbitants et permettent les dépassements de budget.

Cliquez ici pour savoir quelles sociétés bénéficient d’une trop grande part de l’argent des Canadiens.

Amélioration de la capacité et des services numériques offerts aux Canadiens

Il y a un coût réel à la sous-traitance; pensons au coût humain du système Phénix, par exemple. Ce projet était voué à l’échec dès le début et il coûte des milliards de dollars aux contribuables. Le gouvernement continue de gaspiller de l’argent dans cette aventure, alors que des fonctionnaires risquent d’y perdre leur gagne-pain. Dans ses lettres de mandat de 2019, le premier ministre Trudeau a demandé à son cabinet « de relever la barre en matière d’ouverture, d’efficacité et de transparence au sein du gouvernement » et « d’offrir une meilleure capacité numérique et de meilleurs services numériques aux Canadiens ».[5] Pour y arriver, le gouvernement doit investir dans une fonction publique hautement spécialisée qui pourra fournir les services numériques de nouvelle génération au lieu de s’acharner à recourir encore davantage aux consultants en TI.

Cliquez ici pour lire les politiques recommandées par l’IPFPC pour mettre fin à la sous-traitance et accroître l’ouverture, l’efficacité et la transparence de la fonction publique

Restez à l’affût! Nous publierons sous peu notre série de rapports sur le coût réel et les symptômes de la sous-traitance au gouvernement. Notre deuxième rapport portera sur le fait que, en plus de simplifier la tâche des gestionnaires, la sous-traitance diminue les valeurs de dotation du gouvernement, dont la transparence, la responsabilité, le mérite et la représentativité (genre, région, origine ethnique, bilinguisme), en contournant le système de dotation.

 

 


[1]D’après la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor (section 16.1.5) les gestionnaires peuvent avoir recours à des sous-traitants s’ils doivent remplacer un fonctionnaire pendant une absence temporaire, réagir à des fluctuations inattendues de la charge de travail ou tirer avantage d’une expertise que n’offre pas la fonction publique. Cependant, pour ce qui est de la sous-traitance du travail des professionnels des TI, les gestionnaires travaillant avec des CS de l’IPFPC doivent d’abord faire un effort raisonnable pour utiliser les employés en poste ou embaucher de nouveaux employés nommés pour une période indéterminée avant de recourir à la sous-traitance (article 30.1 de la convention collective du groupe CS de l’IPFPC). Cette règle n'est pas toujours appliquée.

[2] David Macdonald, La fonction publique fantôme, Centre canadien de politiques alternatives, 2011.

[3] Selon Statistique Canada, l’inflation de l’IPC était de 11,3 % entre 2011 et 2018. Tableau : 18-10-0005-01 (anciennement CANSIM 326-0021)

[4] David McDonald, La fonction publique fantôme, Centre canadien de politiques alternatives, 2011, p.12.  

[5] Cabinet du Premier ministre, Lettre de mandat de la ministre du Gouvernement numérique, décembre 2019. Extrait de : https://pm.gc.ca/fr/lettres-de-mandat/lettre-de-mandat-de-la-ministre-du-gouvernement-numerique