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Nouvelle orientation en dotation (NOD) et Nuage de talents du gouvernement du Canada : des solutions à la sous-traitance?

En 2016, le gouvernement fédéral a introduit une série de réformes de la politique de dotation dans le cadre de la Nouvelle orientation en dotation (NOD) et a lancé le projet pilote des agents libres, qui vise à mieux mobiliser l’expertise présente dans la fonction publique. Depuis, les premiers résultats indiquent que d’autres réformes du processus de dotation sont nécessaires, tandis que des modèles comme le projet pilote des agents libres pourraient être une solution au recours croissant du gouvernement à la sous-traitance.

Les avantages de la Nouvelle orientation en dotation restent à voir

La NOD délègue une grande partie des pouvoirs de dotation de la Commission de la fonction publique (CFP) aux ministères et organismes. La NOD favorisera :

  • une diversification des pratiques d’embauche;
  • une approche plus souple de la dotation et des politiques;
  • une marge de manœuvre accrue permettant aux gestionnaires d’exercer davantage leur jugement dans le cadre des processus de dotation;
  • un accent qui porte davantage sur les résultats, y compris sur la qualité des personnes embauchées, que sur le processus1.

Ces réformes donnent aux gestionnaires la capacité d’adapter leur approche en matière de dotation et devaient présumément améliorer leur capacité à attirer de nouveaux talents tout en réduisant le temps qu’il faut pour pourvoir de nouveaux postes.

Si la NOD avait effectivement facilité la dotation pour les gestionnaires, on aurait dû constater une diminution du délai de dotation. Même s’il n’y a plus d’estimation officielle du délai de dotation depuis la mise en œuvre de la NOD, en 2018, le président de la CFP, Patrick Borbey, a fait savoir que plus de deux ans après la mise en œuvre de la NOD, le délai de dotation pourrait en fait être devenu plus long. Il a déclaré que le délai de dotation reste « inacceptable et trop
long » à 198 jours, soit environ 3 jours et demi de plus que l’estimation de 194,6 jours qui avait été faite en 2009.2

Malheureusement, la NOD n’a pas non plus simplifié le processus de dotation comme prévu. Dans le Sondage sur la dotation et l’impartialité politique de 2018, l’écrasante majorité des gestionnaires interrogés, soit 88%, déclarent que la dotation reste un processus fastidieux, 62% disent qu’il est encore trop lent, tandis que 46% seulement estiment que la NOD a simplifié le processus.3

Mais le plus inquiétant, c’est que ce qui a le plus changé dans les résultats liés à la dotation depuis la mise en œuvre de la NOD, c’est le nombre de nominations effectuées sans annonce publique qui a augmenté. Entre 2015 et 2017, les nominations sans annonce sont passées de 34 % à 47 %.4 La Commission admet qu’avant la NOD, on voyait une préférence pour les processus annoncés, alors qu’après celle-ci, on a constaté que « la CFP n’établit plus de préférence et donne aux administrateurs généraux la liberté d’assurer l’équilibre entre les processus annoncés et les processus non annoncés ».5 Avec l’augmentation du nombre de postes non annoncés depuis la NOD, plus de nominations sont faites par piston (qui on connaît) et moins en fonction du mérite et du souci de transparence et de diversité.6

La NOD n’a pas réduit le délai de dotation et ne s’est pas révélée non plus un meilleur moyen d’attirer de nouveaux talents dans la fonction publique, comme il était prévu. Au contraire, ce délai pourrait avoir augmenté sous le nouveau régime et l’assouplissement des règles de dotation permet aux gestionnaires de pourvoir plus de postes sans véritables concours. Même si la NOD est née de la nécessité reconnue de corriger le processus de dotation, elle est loin d’avoir réglé les problèmes à l’origine de la sous-traitance.

Des modèles de dotation innovants pourraient être une solution à la sous-traitance

Le gouvernement fait plus que chercher à améliorer le processus de dotation actuel et travaille à l’élaboration d’un modèle entièrement nouveau de structuration de ses effectifs. Le travail dans la fonction publique, en particulier à l’ère numérique, est de plus en plus basé sur des projets. C’est l’une des premières causes du recours croissant à la sous-traitance. Le Nuage de talents du gouvernement du Canada et le projet pilote des agents libres ont été créés pour répertorier les
compétences et les talents présents dans la fonction publique et ainsi faciliter leur affectation à l’interne dans les ministères qui font du travail par projet. Le modèle d’agents libres basé sur le nuage, sur lequel ces programmes reposent, pourrait être une solution de rechange viable à l’externalisation des services professionnels, à condition que les niveaux de dotation actuels soient augmentés pour tenir compte de la réalisation d’un plus grand nombre de projets à l’interne.

Le Nuage de talents, en voie de conception, se veut un répertoire validé et consultable de talents intersectoriels qui donne le droit aux travailleurs à la représentation syndicale et à ses avantages et continue d’assurer la flexibilité de l’attribution du travail à l’intérieur comme à l’extérieur du gouvernement.7 Le Nuage affiche des offres d’emploi pour une durée déterminée et permet aux employés d’accumuler les projets pour conserver leurs avantages sociaux et leur pension. Il pourrait assurer plus facilement la correspondance entre les besoins en ressources des gestionnaires et les compétences déjà disponibles dans la fonction publique.

Le projet pilote des agents libres de 2016 devrait valider le principe du Nuage de talents du gouvernement du Canada. Le programme donne accès aux gestionnaires à un bassin de fonctionnaires hautement qualifiés et présélectionnés en raison de leur expertise spécifique sur des projets à court terme. Ce modèle réduit la nécessité pour les gestionnaires de sortir de la fonction publique pour trouver des compétences spécifiques nécessaires à un projet. Les agents libres peuvent être mobilisés rapidement et à un coût bien plus prévisible que les consultants en TI.

Le projet pilote respecte également les principes énoncés dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Loi sur l’équité en matière d’emploi, car le point d’entrée dans la fonction publique respecte le processus de dotation. Il vise à mieux mobiliser les divers talents déjà présents dans la fonction publique. Bien qu’il s’agisse d’une solution prometteuse pour ce qui est du recours à des consultants en TI, ce modèle pourrait servir à combler des lacunes temporaires en ressources humaines, souvent comblées par des travailleurs temporaires.

Au cours de la première année du projet pilote, des agents libres ont été mobilisés sur 42 projets dans 20 ministères dans le domaine de l’élaboration des politiques, des communications, de la science et de la recherche, et de la programmation informatique. 90 % des gestionnaires se disent satisfaits de la performance des agents libres, et 84 % déclarent qu’ils engageraient un agent libre pour un autre projet.8 Le succès initial du projet pilote a été salué par le Conseil privé du Canada9 et l’OCDE10 et a été présenté à l’exposition Edge of Government du World Government Summit de 2018.11

Le Nuage de talents et le programme des agents libres du gouvernement du Canada sont loin d’être pleinement mis en œuvre dans l’ensemble de la fonction publique. Cependant, le concept et les premiers succès du programme des agents libres montrent que le gouvernement pourrait être capable de fournir des services innovants sans avoir recours à outrance à la sous-traitance.

Cliquez ici pour lire les politiques recommandées par l’IPFPC pour rendre la dotation dans la fonction publique égalitaire et équitable et mettre fin à la sous-traitance et accroître l’ouverture, l’efficacité et la transparence de la fonction publique.

 

 


[1] Commission de la fonction publique du Canada. Nouvelle orientation en dotation -- Message de la Commission de la fonction publique à tous les fonctionnaires fédéraux. 2017.

[2] Chambre des communes. Améliorer le processus d’embauche de la fonction publique fédérale. p. 25. 2019

[3] Commission de la fonction publique du Canada. Sondage sur la dotation et l’impartialité politique : Rapport sur les résultats de la fonction publique fédérale. 2018.

[4] Ottawa Citizen. Non-advertised appointments on the rise in the public service. 2019.

[5] Idem.

[6] Idem.

[7] OCDE. Encourager l'innovation dans l'administration publique : Global Trends 2018. p. 72. 2019.

[8] Idem.

[9] Gouvernement du Canada. Rapport au greffier du Conseil privé : Feuille de route de la Stratégie de données pour la fonction publique fédérale. 2019.

[10] OCDE. Le système d’innovation de la fonction publique du Canada. 2017.

[11] World Government Summit. Edge of Government 2019. 2019