Le budget 2025 a été présenté cette semaine, et il confirme une grande partie de ce que nous avions mis en garde dans notre analyse « Cinq signaux d’alarme ».
Autrement dit : derrière les termes « discipline » et « modernisation » se cache la plus importante réduction des effectifs de la fonction publique canadienne depuis les années 1990, avec la suppression de 40 000 postes d’ici 2028.
Bien que l’on ne sache pas encore exactement ce qui sera supprimé, il est clair que ces réductions entraîneront la perte de biens collectifs essentiels, en particulier dans les domaines de la surveillance de l’environnement, de la collecte de données et de la recherche appliquée.
Ce n’est pas ce que nous voulions ni ce que les Canadien·nes voulaient.
Là où nous souhaitions de l’efficacité, nous assistons à une érosion des services. Là où nous souhaitions des investissements stratégiques, nous assistons à une réduction drastique des capacités.
La fonction publique est sacrifiée au profit d’une solution rapide, et cela coûtera cher aux Canadien·nes.
Les Canadien·nes veulent que leur gouvernement dépense judicieusement, et les professionnel·les de la fonction publique sont d’accord. Mais si l’on élimine les fonctionnaires chargés d’inspecter les aliments, de distribuer les prestations sociales, de protéger les données et de surveiller les feux de forêt, on ne réduit pas le gaspillage. On augmente les risques.
Voici comment les promesses du budget se concrétisent et ce qu’elles signifient pour les membres de la Commission de la fonction publique et les Canadien·nes.
Le discours sur « l’efficacité » cache le coût réel des réductions budgétaires
Ce qui est présenté comme une « modernisation » est en réalité synonyme de réductions, de capacités réduites et de perte de services. Des expressions telles que « réduction des chevauchements », « rationalisation » et « consolidation des programmes » semblent prudentes, mais elles sont des euphémismes pour des réductions de programmes qui risquent de créer des lacunes dont personne n’est responsable.
Les réductions telles que celles proposées dans le budget 2025 perturbent les flux de travail, brisent les chaînes de mentorat et dispersent la mémoire institutionnelle, ce qui ralentit les services et accroît l’inefficacité.
En l’absence d’un plan de transfert d’expertise ou de formation des remplaçant·es, les connaissances institutionnelles disparaissent tout simplement. L’attrition est souvent présentée comme indolore, mais avec la suppression d’un emploi sur dix, nous savons que beaucoup d’entre nous vont en ressentir les effets.
Le discours sur l’efficacité masque la disparition des capacités : moins d’inspections en matière de sécurité alimentaire, des interventions d’urgence plus lentes, une surveillance des maladies moins efficace. Les Canadien·nes en paieront le prix.
Bien que le budget n’ait pas indiqué où chaque emploi, service ou programme sera supprimé, il a toutefois indiqué où nous pouvons nous attendre à certaines suppressions : Agriculture et Agroalimentaire Canada fermera ses laboratoires vivants du programme Solutions agricoles pour le climat. L’Agence spatiale canadienne doit faire face à des réductions inexpliquées de 41 millions de dollars. Services publics et Approvisionnement Canada verra son financement réduit pour les projets pilotes de Laboratoires Canada. Et alors que l’Agence des services frontaliers du Canada prévoit d’embaucher 1 000 nouveaux agent·es, elle réduira simultanément les budgets de formation, ce qui nuira à l’efficacité de ces mêmes embauches.
Il ne s’agit pas de mesures d’efficacité. Ces mesures démantèlent l’infrastructure de la fonction publique pièce par pièce et créent des conditions propices au chaos, et non à une fonction publique fédérale rapide et efficace.
L’intelligence artificielle, une « solution miracle » aux conséquences à long terme
L’intelligence artificielle joue un rôle important, mais inégal dans le budget 2025. Alors que le gouvernement vante les réductions des « services de gestion et de conseil », la plupart des travaux liés à l’IA et au numérique relèvent encore de contrats de services professionnels qui dépendent fortement de fournisseurs privés de TI.
Bien que nous saluions les solutions technologiques « fabriquées au Canada » prévues dans ce budget, cela ne signifie pas nécessairement qu’elles sont « fabriquées par des fonctionnaires canadiens ». Nous devons garantir la propriété publique de toute nouvelle infrastructure d’IA afin de protéger les données canadiennes et d’assurer le contrôle public et la responsabilité.
Le budget ne précise pas non plus comment ces nouvelles initiatives affecteront les emplois du secteur public ou la capacité interne. Les syndicats doivent être impliqués dans la gouvernance de l’IA afin de garantir la protection, la transparence et la responsabilité. Les syndicats doivent être consultés à chaque étape du processus. C’est pourquoi nous continuons à demander un siège au sein du Conseil consultatif en matière d’intelligence artificielle du gouvernement, qui ne comprend actuellement que des représentant·es des milieux scientifiques et économiques.
Enfin, investir dans l’IA tout en supprimant des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur public est plus qu’une contradiction, c’est un échec pour le pays. Nous ne pouvons pas construire une technologie souveraine si nous démantelons la main-d’œuvre chargée de la faire fonctionner. Les algorithmes et les robots d’IA ne peuvent pas remplacer le jugement professionnel des expert·es humains.
Nous savons que l’automatisation précipitée entraîne des erreurs, des retards et des échecs coûteux. Nous subissons encore les conséquences des problèmes d’automatisation des vérifications de l’ARC et de la débâcle du système de paye Phénix.
À moins que les initiatives en matière d’IA ne s’accompagnent d’investissements dans la formation interne et le recrutement, elles auront pour effet d’accroître la sous-traitance plutôt que de la réduire.
L’IA devrait être un outil pour renforcer la fonction publique, et non un raccourci qui l’affaiblit.
Une augmentation de la sous-traitance coûteuse
Le budget 2025 affirme qu’il « réduira » le recours aux consultant·es privés, mais les chiffres avancés par le gouvernement lui-même montrent une réalité différente. La sous-traitance a doublé par rapport aux niveaux d’avant la pandémie et, selon les estimations du gouvernement, les dépenses en services professionnels devraient atteindre 26,1 milliards de dollars cette année, soit une augmentation de 37 % par rapport à l’année dernière et un niveau record.
Nous avons déjà entendu cette promesse : les gouvernements précédents s’étaient engagés à réduire les coûts de la sous-traitance sans jamais y parvenir. Même si la réduction de 20 % promise par le gouvernement actuel allait à l’encontre de la tendance et se concrétisait, les dépenses de sous-traitance resteraient environ deux fois plus élevées qu’il y a dix ans.
Ce n’est pas de la discipline budgétaire. C’est une dépendance vis-à-vis d’entreprises privées qui facturent jusqu’à 26 % de plus que les fonctionnaires équivalents. Chaque dollar des contribuables dépensé pour des consultant·es privés est un dollar qui n’est pas dépensé pour développer l’expertise publique interne.
Il en résulte une fonction publique vidée de sa substance, contrainte de louer les compétences qu’elle possédait autrefois en interne. Ce n’est pas efficace. C’est du gaspillage.
Il n’est pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Lorsque le gouvernement a dû agir rapidement pendant la pandémie, les fonctionnaires ont mis en place la PCU en six semaines seulement. Cela a été incontestablement plus rapide et moins coûteux que ce qu’aurait pu faire une entreprise privée. Voilà à quoi ressemble la véritable efficacité. Lorsque les professionnel·les de la fonction publique se voient confier la direction, nous obtenons des résultats.
Si ce gouvernement souhaite réellement réaliser des économies, il devrait commencer par s’attaquer à la facture de 26 milliards de dollars pour la sous-traitance, et non aux analystes des incendies de forêt, aux scientifiques de la santé publique ou aux ingénieur·es qui assurent la sécurité des Canadien·nes.
La négligence de la science et des preuves
Le manque de financement de la science publique compromet à la fois la sécurité et la souveraineté. Le budget 2025 est étrangement silencieux sur le financement direct des laboratoires fédéraux de science et de recherche. Aucun poste budgétaire ne fait état d’investissements dans les installations de recherche des ministères, les programmes techniques ou le personnel scientifique, alors que nous affirmons clairement depuis des années que ce financement est absolument nécessaire. Il n’est pas non plus fait mention de l’intégrité scientifique ou des politiques fondées sur des données probantes, ce qui constitue un recul inquiétant par rapport aux engagements antérieurs.
Au lieu de cela, le budget 2025 menace de réduire encore davantage les capacités fédérales du Canada en matière de science et de recherche. Bien que les détails de ces réductions n’aient pas encore été communiqués, le budget 2025 mentionne certains programmes ministériels qui seront touchés : Environnement et Changement climatique Canada, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, Agriculture et Agroalimentaire Canada, Ressources naturelles Canada et Innovation, Sciences et Développement économique Canada, entre autres. Pendant ce temps, la recherche et le développement du secteur privé continue de bénéficier d’un soutien, tandis que la science publique laissée à l’abandon.
La science publique prend des décennies à construire et quelques secondes à détruire, et les conséquences se feront sentir bien au-delà des laboratoires. Ces conséquences se traduiront par une réponse plus lente aux incendies de forêt, une diminution des inspections alimentaires et un affaiblissement de la surveillance des maladies.
Le dernier rapport de l’IPFPC, Une feuille de route scientifique pour l’avenir du Canada, dresse un tableau sombre : seulement 6,5 % des scientifiques estiment que leur ministère dispose d’un financement suffisant pour la recherche; la confiance dans l’élaboration de politiques fondées sur des données probantes a chuté à 44 %; et 36 % des laboratoires fédéraux sont dans un état médiocre ou critique. Les rapports d’ingérence politique dans la recherche sont de plus en plus nombreux.
La science publique est déjà en manque de ressources et a besoin d’investissements pour rester résiliente. De nouvelles réductions pourraient porter un coup dévastateur, non seulement aux scientifiques, mais aussi à l’ensemble des Canadien·nes qui comptent sur leur travail.
La vue d’ensemble oubliée
On ne peut pas construire un Canada fort en affaiblissant ce qui assure sa cohésion. Ce qui est supprimé dans ce budget, ce n’est pas la bureaucratie, mais le tissu conjonctif qui assure la coordination et la responsabilité des programmes. Les membres de l’IPFPC sont la force tranquille derrière la puissance du Canada : des scientifiques, des ingénieur·es, des vérificateur·rices, des informaticien·nes et des expert·es en politique qui font fonctionner le gouvernement.
Les promesses de « faire les choses plus rapidement, plus simplement, et mieux » ne peuvent être tenues avec des capacités réduites, une formation limitée et un perfectionnement professionnel réduit. Si nous voulons vraiment un gouvernement qui fonctionne plus rapidement, plus simplement et mieux, nous devons commencer par garder et soutenir les personnes qui savent comment il fonctionne.
Les fonctionnaires savent déjà où se situent les inefficacités : mauvaise planification, systèmes désuets, et sous-traitance coûteuse. Ils/elles sont prêts à y remédier. Mais au lieu d’être habiletés à se moderniser, ils/elles sont mis à l’écart par des objectifs d’économies à court terme.
En l’absence de plan, les réductions entraîneront une succession de solutions rapides et de perte de connaissances. Une fois cette expertise disparue, il faudra des années pour la reconstruire. Les Canadien·nes en ressentiront les effets sous forme de services plus lents, d’une surveillance moins rigoureuse et d’une préparation moindre en cas de crise.
La voie à suivre
Les Canadien·nes veulent que leur gouvernement dépense judicieusement, et les professionnel·les de la fonction publique partagent cet objectif. Mais l’efficacité sans capacité est synonyme de fragilité.
La voie la plus intelligente à suivre est claire :
- Renforcer la fonction publique sans réductions importantes.
- Réduire la sous-traitance inutile et reconstruire l’expertise à l’interne.
- Adopter l’IA de manière responsable et transparente.
- Réinvestir dans la prise de décision fondée sur des données probantes et dans l’intégrité scientifique.
- Se concentrer sur la résolution des problèmes à long terme, et non sur les perspectives à court terme.
Nous demandons aux député·es d’examiner attentivement ce qui est supprimé et qui en paiera le prix. Les député·es ne doivent pas se contenter d’approuver ce budget sans discussion. Ils/elles doivent poser des questions difficiles sur la manière dont ces décisions affecteront leurs communautés et la capacité du Canada à répondre aux crises futures.
La soi-disant « efficacité » ne peut se faire au détriment de la sécurité, de la stabilité et des services publics qui assurent la cohésion de notre pays.

