L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Exode des connaissances et transfert des compétences : la sous-traitance du travail des professionnels des TI

La facilité l’emporte sur le perfectionnement des compétences

Tous les ans, la sous-traitance coûte des milliards de dollars aux contribuables canadiens et entraîne une déqualification des fonctionnaires fédéraux. Des employés ont affirmé qu’ils n’ont ni la formation nécessaire pour faire leur travail[1] ni les connaissances requises pour mener à bien les projets. Souvent, ils prennent la porte avec l’entrepreneur à la fin d’un contrat.

En privilégiant la sous-traitance, le gouvernement empêche ses employés d’acquérir l’expérience pratique et l’expertise des nouvelles technologies que leur procureraient les nouveaux projets. Au lieu d’investir dans la formation du personnel,[2] les gestionnaires se tournent de plus en plus vers des consultants, qui s’approprient la totalité de l’expertise et de l’expérience des projets gouvernementaux.

Au moment de quitter la fonction publique, les consultants ramènent avec eux les compétences et les connaissances qu’ils ont acquises au cours de leur mandat. Dans le cadre d’un sondage mené en 2010 par la Commission de la fonction publique, des gestionnaires ont indiqué que « la perte de compétences et de connaissances lorsque les travailleurs d’aide temporaire terminent leur marché » constituait le principal inconvénient de la sous-traitance.[3]

La perte de compétences et de connaissances est encore plus grave dans les cas de sous-traitance des services des professionnels des TI. Plus le gouvernement externalise les fonctions de TI, plus il dépend d’entrepreneurs privés pour exploiter ses propres systèmes. Par conséquent, l’expertise et les connaissances institutionnelles finissent par se concentrer chez les entrepreneurs privés au lieu de demeurer au sein du gouvernement. Vu que les connaissances institutionnelles s’accumulent chez certains entrepreneurs privés, il est difficile de changer de fournisseur de services à la fin d’un marché et il est encore plus difficile de ramener les services à l’interne.

Sitôt arrivés, sitôt partis

Un membre de l’IPFPC sondé dans le cadre du rapport Programmé pour l’échec de 2016 a fait état de la présence accrue de consultants dans son milieu de travail en raison du gel des embauches, des compressions budgétaires, du réaménagement des effectifs et du Plan d’action pour la réduction du déficit. Voici ses observations :

« Dans le cadre d’un grand projet récent visant à concevoir une nouvelle fonctionnalité pour un système de TI couramment utilisé, ce sont des employés contractuels qui ont fait une grande partie du codage. Notre ministère n’avait pas le budget nécessaire pour embaucher des employés permanents ou en former pour leur permettre d’acquérir des compétences spécialisées; c’est pourquoi il a été contraint d’avoir recours à des personnes de l’extérieur. Toutefois, lorsque le système est devenu opérationnel, ces employés contractuels ont été réaffectés à un autre projet, et les employés nommés pour une période indéterminée ont été chargés de maintenir les opérations.»[4]

Le fonctionnaire a indiqué qu’il n’y avait aucun transfert des connaissances ni aucune formation ou documentation systémique pour permettre au personnel de se charger des projets après le départ des consultants. Une fois les consultants partis, la maintenance et la stabilisation du nouveau système devenaient une source de frustration pour le personnel, dont le travail se complexifiait en plus de prendre plus de temps. Le fonctionnaire a déclaré :

« Nous devions composer avec tous les problèmes, et ce, sans formation adéquate! Par conséquent, la courbe d’apprentissage était abrupte, et nos services ont été retardés. S’il y avait eu un transfert du savoir, une formation et des dispositions de transition, personne n’aurait perdu de temps et les Canadiens auraient obtenu de meilleurs services, et ce, plus rapidement. Les sous-traitants arrivent, font le travail, puis repartent avec toute l’expérience acquise. En quoi cette façon de faire s’inscrit-elle dans une optique de durabilité?»[5]

La sous-traitance, plus simple que l’embauche?

Les lacunes en matière de RH au gouvernement font en sorte qu’il est plus facile de faire appel à des sous-traitants que d’embaucher de nouveaux fonctionnaires ou de miser sur les compétences internes. Vu la lenteur du processus de dotation, le manque d’orientation des gestionnaires quant à la sous-traitance et l’accès relativement facile aux entrepreneurs, il est normal que les gestionnaires privilégient la sous-traitance à l’embauche.

Les gestionnaires peuvent impartir les services lorsqu’un fonctionnaire doit s’absenter temporairement afin de composer avec une surcharge de travail inattendue ou d’acquérir une expertise que personne ne possède au sein de la fonction publique.[6] Bien qu’il existe des solutions à la sous-traitance dans ces deux cas, les gestionnaires sondés par la Commission de la fonction publique ont affirmé que le processus d’acquisition de services d’entrepreneurs était plus rapide et souple que le processus de dotation[7]. Lorsqu’un gestionnaire impartit du travail, il peut acquérir les services d’entrepreneurs de deux façons :

  • Il peut lancer un appel d’offres pour un service donné et ensuite octroyer le marché au sous-traitant retenu.
  • Si son ministère a déjà un « marché à commandes » ou un « arrangement en matière d’approvisionnement » avec un sous-traitant, il peut choisir un entrepreneur dans une liste de fournisseurs de biens et services préqualifiés. Les gestionnaires peuvent essentiellement « rappeler » des entrepreneurs sur demande.

Cette méthode permet aux gestionnaires d’acquérir des ressources humaines facilement et plus rapidement qu’en suivant le processus de dotation.

Le nombre réduit d’exigences et une surveillance moins serrée expliquent la rapidité et la souplesse de la sous-traitance par rapport à la dotation. La loi régissant la dotation au sein de la fonction publique, soit la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP), exige que les nominations permanentes soient fondées sur le mérite, la justice, l’accessibilité, la transparence et la représentativité[8]. La sous-traitance n’est assujettie à aucune disposition de la Loi; elle est seulement régie par quelques lignes directrices plutôt floues. La Politique sur les marchés du Conseil du Trésor indique que « les autorités contractantes doivent éviter toute situation pouvant être incompatible avec la Loi sur l’emploi dans la fonction publique »[9]. Les lignes directrices ne précisent pas les circonstances dans lesquelles l’utilisation d’entrepreneurs créerait une telle incompatibilité. De plus, les gestionnaires reçoivent peu d’information sur les façons d’utiliser les services professionnels ou de les limiter de manière appropriée.[10]

Amélioration de la capacité et des services numériques offerts aux Canadiens

Dans ses lettres de mandat de 2019, le premier ministre Trudeau a demandé à son cabinet « de relever la barre en matière d’ouverture, d’efficacité et de transparence au sein du gouvernement » et « d’offrir une meilleure capacité numérique et de meilleurs services numériques aux Canadiens ». Ces services améliorés peuvent et doivent être fournis par des fonctionnaires spécialisés et bien formés au lieu d’être assurés par une fonction publique fantôme.

Cliquez ici pour en savoir plus sur les politiques que nous recommanderons aux ministres et aux employés de la fonction publique en 2020. Ces recommandations expliquent notamment comment traiter les symptômes de la sous-traitance.

 

 


[1] D’après les résultats du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux de 2017, seulement 65 % des professionnels en TI ont indiqué qu’ils recevaient la formation dont ils avaient besoin pour exercer leurs fonctions.

[2] Dans un sondage effectué dans le cadre du rapport Programmé pour l’échec (2016), plus de 8 répondants sur 10 (83 %) ont indiqué qu’aucune formation n’était offerte aux employés existants avant que les postes vacants soient pourvus par des contractuels. Par contre, 54 % des sondés (59 % des professionnels des TI) ont affirmé qu’ils auraient aimé accomplir les tâches confiées aux contractuels, mais que l’on ne leur en a jamais donné l’occasion.

[3] Commission de la fonction publique du Canada. Utilisation des services d’aide temporaire dans les organisations de la fonction publique, 2010, p. 26.

[4] Réponse à une question ouverte du sondage Programmé pour l’échec (2015).

[5] ibid

[6]Secrétariat du Conseil du Trésor. Politique sur les marchés, 16.1.5. Extrait de : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=14494. (novembre 2019).

[7] Commission de la fonction publique du Canada. Utilisation des services d’aide temporaire dans les organisations de la fonction publique, 2010, p. 26.

[8]Commission de la fonction publique du Canada. Valeurs énoncées dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique. Extrait de : https://www.canada.ca/content/dam/canada/public-service-commission/migration/centres/val-psea-lefp-fra.pdf. (novembre 2019).

[9] Secrétariat du Conseil du Trésor. Politique sur les marchés, 16.1.5. Extrait de : https://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-fra.aspx?id=14494. (novembre 2019).

[10] Commission de la fonction publique du Canada. Utilisation des services d’aide temporaire dans les organisations de la fonction publique, 2010, p. 5.