L'Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Mémoire présenté au Groupe de travail sur la révision de la Loi sur l’équité en matière d’emploi

22 septembre 2021

(Traduction de l’anglais)

Introduction : Une question d’une grande importance pour nos membres

L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) représente quelque 60 000 professionnels du secteur public canadien, dont la plupart sont employés au gouvernement fédéral. L’IPFPC est reconnaissant d’avoir l’occasion de participer à cette importante discussion — il s’agit d’une question d’une grande importance pour ses membres.

Notre syndicat a déjà souligné à maintes reprises les répercussions des préjugés et des obstacles sur la sélection et la promotion des candidats issus de groupes en quête d’équité en matière d’emploi (EE) dans la fonction publique fédérale. Par exemple :

  • Nous avons rencontré de hauts fonctionnaires du Conseil du Trésor en 2015 et en 2016, peu après que le gouvernement du Canada ait exprimé sa disposition à corriger des lacunes persistantes dans ses processus de dotation, et nous avons participé activement au groupe de travail mixte syndical-patronal sur la diversité et l’inclusion, qui a publié son rapport final en décembre 2017. Ce document, disponible en ligne sur le site du Conseil du Trésor, serait une ressource précieuse pour votre groupe de travail. Il comprend quelque 44 recommandations concernant l’élaboration d’un cadre et d’un plan d’action pour la diversité et l’inclusion dans la fonction publique du Canada.
  • En 2019, nous avons exposé nos préoccupations au président de la Commission de la fonction publique (CFP), Patrick Borbey, concernant les résultats de l’étude sur le taux de promotion de l’EE publiée par son organisation en mai de la même année. Dans l’ensemble, l’étude démontre qu’en dépit des progrès réalisés en matière d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI) dans la fonction publique, de graves inégalités touchent toujours les groupes en quête d’équité dans certains secteurs, en particulier les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles dans les catégories scientifiques et professionnelles.
  • À la fin janvier 2021, nous avons participé à une consultation du Comité d’équité en matière d’emploi du Conseil national mixte sur cette question, et y avons fait part de plusieurs préoccupations. Plusieurs syndicats étaient présents, ainsi que des représentants de la Commission de la fonction publique, du Bureau du dirigeant principal des ressources humaines, du Bureau du Conseil privé et du Centre sur la diversité et l’inclusion. On nous a assuré que ce serait la première de plusieurs consultations.
  • En mai 2021, Debi Daviau, présidente de l’Institut, a comparu devant le Comité sénatorial des affaires sociales pour discuter des changements proposés à certains éléments du projet de loi C-30 (Loi d’exécution du budget 2021) visant à supprimer les obstacles qui nuisent aux groupes en quête d’équité dans la fonction publique fédérale. Bien que ces mesures représentent une amélioration par rapport aux lois actuelles, elles ne constituent qu’une petite partie de ce qui doit être fait pour répondre aux préoccupations soulevées par les agents négociateurs.

Notre travail soutenu sur cette question reflète son importance considérable pour nos membres. Le racisme, la discrimination, l’islamophobie et l’absence de mesures opportunes et efficaces ne sont pas des phénomènes nouveaux pour de nombreux fonctionnaires fédéraux. Il faut reconnaître l’existence d’une longue histoire d’aliénation des personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) dans la fonction publique et corriger la situation. 

Préoccupations concernant les processus de dotation dans la fonction publique du Canada

Un sondage que l’IPFPC a réalisé auprès de ses membres montre ce qui suit :

  1. Ils ne font pas très confiance aux processus fédéraux de dotation en personnel;
  • Les candidats qui se plaignent du processus de dotation craignent de faire l’objet de représailles;
  • Le mécanisme de recours n’est pas efficace;
  • Les recommandations de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral n’ont aucun effet sur les pratiques ministérielles;
  • Il n’y a aucun moyen de contrôler la formation des responsables délégués;
  • Les conseillers en ressources humaines ne font aucune vérification et prennent presque toujours le parti de la direction.
  1. La délégation des pouvoirs de dotation du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique aux gestionnaires locaux a largement compromis l’équité, la diversité et l’inclusion de nos membres racisés.
  • Les processus non annoncés ont considérablement augmenté, passant de 29 % des nominations en 2016 à 60 % en 2020;
  • Il y a un manque inhérent de transparence ou d’équité quant aux raisons pour lesquelles on décide de ne pas annoncer un processus de dotation;
  • En raison des données démographiques et des préjugés des gestionnaires d’embauche, les processus non annoncés ne font qu’aggraver l’exclusion des groupes en quête d’équité; 
  • Quand ils sont confrontés à une plainte, les gestionnaires d’embauche répondent souvent : « Je peux faire ce que je veux ». Ils ne donnent pas de justification digne de ce nom et ne sont pas disposés à expliquer pourquoi certaines candidatures ne peuvent être prises en compte; qui plus est, il n’y a ni surveillance ni responsabilité.
  1. Le prétexte de la « bonne personne pour un poste » est souvent utilisé pour exclure des candidats plus qualifiés appartenant à des communautés marginalisées, au lieu de tenter d’atteindre le but initial d’accroître la représentation.
  • L’énoncé des critères de mérite (ECM) est adapté de façon à limiter les candidatures et à favoriser les candidats préférés.
  • Les zones de sélection n’ont pas de réelle pertinence; elles correspondent rarement aux exigences réelles du poste, qui sont adaptées au secteur ou à la direction générale. 
  1. Les nominations intérimaires sont faites et prolongées sans aucune justification, et ce, par l’entremise de processus non annoncés.
  • Soit les gestionnaires choisissent leur candidat favori ayant l’avantage de l’expérience, qui est finalement nommé au poste,
  • soit ils nomment un ou plusieurs candidats à des postes intérimaires pendant un certain temps, puis leur refusent une nomination permanente pour des motifs douteux. Souvent, ils attendent même de ces employés qu’ils forment la personne retenue.
  1. Sur certains lieux de travail, les préoccupations à l’égard de la protection de la vie privée sont parfois évoquées pour empêcher la divulgation d’informations sur les salaires.
  • Cette pratique peut conduire à des injustices pour les membres des groupes en quête d’équité. Les niveaux de rémunération devraient être publiés.
  1. Il n’y a pas assez de programmes de parrainage ou de mentorat pour les membres de groupes en quête d’équité.
  1. Il n’y a pas de processus ou d’expertise pour garantir que l’EMC, les outils d’évaluation ou les techniques d’entrevue sont adaptés pour éliminer les préjugés. Les gens sont réticents à dire qu’ils ont besoin de mesures d’adaptation de crainte d’être vus comme étant moins performants.
  • Ces préjugés contribuent largement à la faible représentation de ces groupes, qui a été mise en évidence dans le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux piloté par la CFP en 2019.
  1. Les exigences en matière de bilinguisme constituent également un obstacle pourbeaucoupde nos membres, qui sont hautement qualifiés, mais dont la langue maternelle n’est ni l’anglais ni le français. Il n’y a presque plus de dotations non impératives et d’engagement de l’employeur à offrir une bonne formation aux fonctionnaires qualifiés, ce qui nuit à la carrière des membres de plusieurs groupes en quête d’équité en matière d’emploi.

Nos recommandations

A - Il faut constituer des comités de sélection représentatifs (mixtes) comprenant des membres d’au moins deux groupes en quête d’équité en emploi, des femmes et des employés et conseillers interrégionaux.

B - Les processus ou les programmes qui donnent la priorité à la dotation, à la promotion et à l’embauche (comme le programme des conjoints des Forces armées canadiennes) ne doivent pas remplacer les programmes d’équité en emploi.

C - Les « flexibilités » (voir le point 2 ci-dessus) ont drastiquement réduit la responsabilisation et la transparence de la dotation. L’approche non interventionniste adoptée par la CFP, y compris sa non-participation aux causes en arbitrage et sa réticence à établir les normes nécessaires pour respecter les valeurs de la Loi, suggère une certaine réticence de la part de la Commission à assumer son rôle de surveillance. Cette situation doit être corrigée sans plus tarder.

D - Les « Noirs » devraient être identifiés comme un groupe distinct en quête d’équité.

E - En anglais, le mot « Aboriginal » devrait être remplacé par « Indigenous ».

F - Il convient de reconnaître que les « minorités visibles » constituent un vaste groupe composé de multiples ethnies qui sont confrontées à des défis différents. Statistique Canada et le SCT compilent déjà des renseignements sur divers sous-groupes qui devraient être reconnus et suivis : les Noirs; les Chinois; les Asiatiques du Sud et Indiens d’Asie; les Asiatiques de l’Ouest, Africains du Nord et Arabes; les Asiatiques du Sud; les Latino-Américains non blancs; les Philippins; les Coréens; les Japonais.

G - Le SCT comptabilise la représentation en examinant la disponibilité au sein de la population active (DPA), qui n’est pas traitée par l’actuelle Loi sur l’équité en matière d’emploi (LEE). Le DPA nuit grandement aux minorités visibles. Bien que la DPA des trois groupes en quête d’équité en emploi soit comparable aux données démographiques canadiennes, celle des minorités visibles est inférieure de plus de 10 points de pourcentage à leur représentation (recensement de 2016 : 22,3 % moins DPA de 11,3 % = 10,0). La Loi devrait définir le mode de calcul de la DPA afin que les minorités visibles soient sur un pied d’égalité avec les autres groupes en quête d’équité en emploi.

H - Les LGBTQ2SI+ devraient être ajoutés en tant que groupe en quête d’équité.

I - Les groupes désignés doivent être définis de la même manière que dans le formulaire d’auto-identification des nouveaux employés.

J - Le concept d’intersectionnalité devrait figurer dans la LEE en tant que cadre d’analyse des sous-groupes susmentionnés.

K - La partie I de la LEE devrait stipuler que l’employeur a l’obligation de créer des comités d’équité en emploi dont les membres détiennent des pouvoirs similaires à ceux d’un comité de santé et de sécurité au travail, conformément à la partie II du Code canadien du travail.  Ces comités limiteraient leur champ d’action aux consultations, aux politiques et aux processus liés à l’équité en emploi sur le lieu de travail.

L - Les plans d’équité en emploi nécessitent un cadre de responsabilité suggéré par la Loi elle-même.

M - L’auto-évaluation des employeurs décrite aux sections 12 et 13 manque d’objectivité et de responsabilité.  La nature subjective de la façon dont les employeurs surveillent leurs propres plans devrait être révisée.

N - À l’article 15, il convient de définir le sens des mots « consulter » et « collaboration ». L’expérience montre que l’employeur et les agents négociateurs ont tendance à interpréter ces mots différemment.

O - Le contenu du rapport figurant à l’article 21 devrait comprendre des données désagrégées, par exemple sur les sous-groupes, ainsi que des données intersectionnelles, afin d’avoir une meilleure idée de la véritable situation de l’équité en matière d’emploi dans la fonction publique fédérale.

Conclusion

La représentation des groupes en quête d’équité dans les milieux de travail fédéraux ne peut s’améliorer dans le contexte actuel. Il est urgent de créer des lieux de travail fédéraux qui reflètent véritablement la population canadienne et ses valeurs.  Le gouvernement fédéral doit s’éloigner des « solutions rapides » et s’attaquer à ce problème crucial une fois pour toutes.

Des représentants de l’Institut professionnel sont disponibles pour échanger avec le Groupe de travail et concourir à la mise au point de solutions efficaces à ces problèmes dans les mois à venir. Veuillez noter que nous sommes en train de préparer un second mémoire qui illustrera les expériences de nos membres racisés sur le plan de la dotation et de l’équité en emploi dans la fonction publique fédérale.

Nous vous remercions de nous donner l’occasion de relater notre point de vue sur cette question au Groupe de travail.

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Contact :

Pierre Villon
Bureau de la présidente
L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada
pvillon@pipsc.ca
613-794-9369 (cellulaire)